Il est toujours instructif de connaître la façon dont est perçu WoW par les "non-initiés", quel regard critique se porte sur cet univers qui divise autant aujourd'hui ceux qui le vivent de l'intérieur et ceux qui nous prennent pour des demeurés (ou de basses victimes d'une nouvelle addiction)... Aujourd'hui, c'est encore Le Figaro qui apporte quelques témoignages sur la communauté de joueurs : on pourra d'ailleurs remarqué, dans les récents articles parus dans la presse généraliste, que certaines nuances commencent à apparaître ; WoW devenant un phénomène social, et donc mercantile, il se pourrait que son public apparaisse comme un nouveau segment de marché qui suscite de nouvelles convoitises commerciales, et qu'il faut donc ménager...
"Plus
de 11,5 millions de joueurs dans le monde sont adeptes de cet univers
fantastique. Collégiens, traders ou mères de famille, ils ont leurs
propres codes et leur vocabulaire.
Mais
que font vos adolescents lorsqu'ils sont occupés devant l'écran ? Si
vous souhaitez comprendre ce qui les captive, Bienvenue dans WoW. World of Warcraft.
Plus qu'un jeu en ligne, tout un univers. Depuis son lancement en 2005,
le nombre de joueurs a bondi autour du globe et dépasse la population
de la Belgique, avec 11,5 millions d'adeptes. Rien qu'en France, ils
seraient 500 000 à hanter cette planète médiévale et fantastique, que
l'on rejoint d'un clic. Un monde riche de trouvailles graphiques, barré
par des montagnes, traversé par des fleuves, hérissé de donjons. Et
secoué par une lutte millénaire entre les personnages de l'Alliance
(humains, nains, gnomes…) et ceux de la Horde (orques, trolls, morts
vivants…) Le scénario paraît connu. Le genre heroic fantasy a déjà
inspiré des dizaines de jeux. L'activité principale reste guerrière.
Mais cette fois, pour décimer des boss (monstres) ou des adversaires,
presser la gâchette ne suffit pas. Le boss doit être débusqué, traqué,
observé. Il faut cerner ses mœurs, identifier son point faible et
s'équiper pour espérer l'achever. Une mission qu'il est souvent
difficile d'accomplir seul. Alors les joueurs se groupent dans des
« guildes ». Ces commandos formés ont fait de WoW un nouveau réseau social.
Certains se vivent alors comme une armée en manœuvre et tissent ces
liens puissants du risque et de l'effort partagé, avec «des marches de
nuit, des entraînements et des missions commando où chacun est
essentiel», raconte Ludovic, 18 ans.
Partout,
ce monde virtuel gagne du temps de cerveau, particulièrement parmi les
Chinois, les Coréens, les Japonais ou les Américains. C'est le «jeu de
rôle en ligne massivement multijoueur» (MMORPG) le plus populaire de la
planète. Et il rapporte un joli butin à Vivendi, propriétaire de Blizzard,
la société américaine qui a conçu le jeu. Au départ, les offres
gratuites pour essayer foisonnent. Ensuite, l'abonnement mensuel est de
13 euros en France. À la tête du holding, Jean-Bernard Lévy couve
particulièrement cette entreprise qui le fascine. Et c'est aux
États-Unis que des centaines de développeurs animent et renouvellent
régulièrement le jeu en fonction des commentaires des milliers de
forums dédiés. Tandis que les commerciaux inventent des produits
dérivés. C'est ainsi que le Mountain Dew Game Fuel, sorte de potion
pour joueur fabriquée par Pepsi, a vu le jour aux États-Unis.
Si
les adolescents ont massivement souscrit au monde de WoW, les adultes
plongent à leur tour, même s'il est difficile de les distinguer
derrière leurs avatars ! Aux États-Unis, les tabous s'effritent mais,
en France, s'avouer joueur lorsqu'on n'a plus 20 ans reste délicat.
«C'est ma vie privée», fait répondre le directeur d'un célèbre club de
foot. Des traders jouent la nuit, d'autres en salle des marchés. Les
femmes, comme Nathalie, 42 ans, se sont d'abord aventurées sur la
pointe du clavier, parfois pour suivre leurs enfants. Car WoW a la
réputation d'être addictif. «Je voulais vérifier par moi-même», raconte
cette graphiste. Depuis, son personnage joue souvent avec celui de son
adolescent. «On peut y aller en famille. Cela crée de la complicité.»
Mais Nathalie joue aussi seule, «de une à deux heures tous les soirs,
au lit. Cela remplace la télé». Autour d'elle, des copines s'y mettent.
Car la vie dans WoW est variée. Les personnages peuvent vaquer, entre
deux missions, à d'autres activités. Certains cuisinent, se lavent, se
reposent sous un arbre. «Quand je suis fatiguée, je pêche», raconte
Isabelle, la quarantaine. Juste rappelée à la réalité lorsqu'un
complice de jeu lui demande : «T'es en quelle classe ?»
Derrière
les avatars, ces personnages que chacun se compose, les francophones
restent essentiellement des collégiens, des lycéens. Ces jeunes que
l'on dit rétifs à l'autorité se précipitent dans ces confréries, régies
par de strictes règles. Contrariant l'idée d'un stand de tir pour
jeunes en mal d'affirmation, WoW est un univers hiérarchisé. Les gros
mots, interdits, ne peuvent apparaître à l'écran, dans ces petites
fenêtres où les joueurs communiquent en direct. «Ceux qui tuent des
êtres plus faibles sont généralement mal considérés», explique Claudie
Voisenat, chercheuse au ministère de la Culture. «Les ninjas qui
s'emparent d'équipements dont ils n'ont même pas besoin, juste pour le
plaisir de voler, sont la lie des joueurs», affirme, péremptoire,
Julien, 15 ans. Quelques «kikous» crânent en grande tenue avec des
armes et équipements neufs. Les «oin-oin» se plaignent tout le temps.
Sur WoW, les mauvaises réputations circulent comme dans une cour
d'école. «Ceux qui se comportent mal ne sont plus acceptés dans aucune
guilde», assure Bruno, 16 ans.
Scoutisme moderne
La
guilde est au monde moderne ce qu'était le scoutisme autrefois. Un
groupe de pairs lancés dans une aventure. «Les parents ont toujours
peur que l'on devienne autiste. Mais c'est l'inverse. On rencontre
plein de gens», reprend Julien. «Entre un film français déprimant à la
télé et jouer avec des potes, j'ai vite choisi.» Pour progresser, il
faut consacrer du temps. WoW dévore les heures libres. Il faut parfois
cliquer pendant cinq minutes, juste pour traverser un territoire. Les
pressés seront tentés par le marché noir. WoW a déjà ses mafias. Dites
«chinoises» ou «ukrainiennes», ces formations occultes envoient des
messages furtifs dans le jeu. Elles proposent des armes, des trésors…
que leurs «bagnards du jeu» ont gagnés en restant connectés en
permanence. Autrefois, on pouvait aussi acheter des personnages forts
ou des avatars volés que l'on retrouvait sur des sites de vente aux
enchères, que WoW surveille maintenant sévèrement. Sans tricher, il est
presque indispensable de trouver un bon groupe pour atteindre les plus
hauts échelons (le niveau maximum est de 80). Le choix de sa guilde
ressemble à un processus d'embauche. «D'abord, j'ai cherché les plus
performantes. Puis j'ai vérifié leurs horaires de jeu pour voir si cela
pouvait coller», raconte Julien. Car certaines sortent de nuit, lorsque
les cadres ont regagné la maison et se livrent à leur passion. D'autres
jouent l'après-midi ou les week-ends. Une fois le groupe identifié, «je
me suis équipé pour être attractif et j'ai réalisé quelques exploits
pour me faire remarquer». Des efforts couronnés par l'admission dans le
groupe d'élite, se réjouit encore Julien, qui se montre nettement moins
motivé pour les révisions scolaires !
WoW vit sous le coup d'une
accusation en addiction permanente. Jamais jeu n'avait suscité un tel
engouement. Quelques cas dramatiques d'adolescents dénutris, la mort
d'un joueur chinois, les dizaines de forums dédiés à cette obsession,
les récits poignants de descentes hors la vie, jusqu'à devenir un «no life»,
inquiètent à juste titre les parents. Mais aussi les responsables de
WoW. «Ils ont supprimé des grades qui rendaient littéralement fous»,
raconte Franck, 26 ans, ancien «drogué» du jeu. «Je voulais ce titre.
On s'est mis à quatre pour l'obtenir. Il fallait jouer sans cesse»,
raconte ce mécanicien de l'aéronautique. Depuis, les règles ont évolué.
Mais l'aventure reste sans fin. Car une fois atteint le niveau maximum,
d'autres défis attendent le joueur.
Un atout sur le CV
«J'avais
proposé aux sénateurs français qui travaillaient sur cette addiction de
créer des personnages non joueurs pour aller au-devant de ceux qui
passaient plusieurs heures chaque jour», rappelle Michaël Stora, un des
psychologues spécialistes du sujet. La direction de WoW n'a pas donné
suite. En revanche, les responsables réfléchissent à la proposition
d'un psy anglais de concéder des tarifs préférentiels ou même la
gratuité à des soignants qui iraient, derrière un avatar, à la
rencontre des joueurs «dépendants». «Nous allons lancer ce projet avant
la fin de l'année en restant dans les paramètres du jeu», a fait savoir
le Dr Graham. «Pour nous familiariser avec cet univers, nos psys vont
probablement devoir jouer des heures. Espérons que nous résisterons à
l'addiction !» Si l'addiction ou la confusion entre le monde virtuel et
la réalité restent un risque, la donne pourrait changer. Les champions
de WoW monnayent désormais leur savoir-faire dans le monde bien concret
de l'entreprise. Yahoo! a embauché Stephen Gillett pour son charisme
virtuel. Ses talents de chef de guilde lui ont valu rien de moins qu'un
poste de manager senior en ingénierie. Le japonais Joy Ito menait lui
aussi une guilde de 400 personnes dans le monde entier, comprenant des
médecins, des PDG, des mères de famille, des étudiants et assure :
«Motiver des dizaines de personnes à travailler ensemble sur un long
terme, cela revient à conduire un projet, comme le lancement d'une
société.» En France, s'affirmer comme gamer («joueur») reste
controversé. «Que ce soit un plus sur un CV, c'est indéniable ; par
contre, je me vois mal expliquer à mon boss que je vais arriver avec un
peu de retard demain, car ce soir je mène un raid de 40 personnes
jusqu'à 2 heures du mat», ironise un internaute sur le forum ZDNet.
Cependant, lors d'une journée de réflexion, le 28 septembre dernier à
l'ESSCA d'Angers, sur le personal branding (faire de son nom une marque
sur le Net), plusieurs responsables de ressources humaines ont affirmé
qu'ils détectaient un bon manager… sur World of Warcraft !
À ce
jour, néanmoins, le personnage le plus célèbre de WoW n'est pas un des
champions que les marques sponsorisent pour combattre. Mais un loser
qui avait fait échouer la stratégie de son équipe, déboulant dans un
nid de dragons en hurlant son nom : «Leeeeeroy Jenkins !»
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